La "vallée de l'étrange" en robotique
En 1970, le roboticien japonais Masahiro Mori de l’Institut de technologie de Tokyo a inventé le concept de la «vallée de l’étrange», en anglais “the uncanny valley”. En robotique, la vallée de l’étrange est une hypothèse. Plus les robots deviennent réalistes, se rapprochent de l’humain, plus nous sommes mal-à-l’aise voire les trouvons répulsifs :
«Au départ, nous sommes ravis et intrigués par les robots à mesure qu’ils deviennent plus humains. Lorsqu’ils deviennent très humains, notre réponse se transforme en révulsion. (Masahiro Mori)
Depuis, les chercheurs se demandent s’il faut se rapprocher de l’apparence humaine ou simplement laisser au robot son apparence mécanique.
Extrait d’un entretien avec Masahiro Mori, l’inventeur du concept de «vallée de l’étrange»
En 2012, Masahiro Mori, a été interviewé par Norri Kageki. Voici 3 questions / réponses. Les connaissances précieuses de Masahiro Mori sur la robotique et l’éthique – à lire.
Norri Kageki: Votre essai intitulé «The Uncanny Valley» est apparu pour la première fois dans un numéro de 1970 d’Energy. Comment est-ce arrivé?
MM: Depuis que je suis enfant, je n’ai jamais aimé regarder des figurines de cire. Elles m’ont semblé un peu effrayantes. A cette époque, les mains prothétiques électroniques étaient en cours de développement, et elles ont déclenché en moi le même genre de sensation. Ces expériences m’ont fait commencer à penser aux robots en général, ce qui m’a amené à rédiger cet essai. La vallée de l’étrange était mon intuition. C’était une de mes idées.
NK: Je ne pense pas qu’il y ait eu de robots qui ressemblaient à des humains en 1970. Et pourtant vous aviez cette idée.
MM: C’est vrai. Il n’y avait pas encore de tels robots. À l’époque, les gens ne pensaient pas que les universités devraient faire de la recherche sur les robots. Ils pensaient qu’il était frivole de travailler sur un «jouet». Comme pour tout ce qui est nouveau, il y a eu beaucoup d’opposition et j’ai senti que tout le monde était contre moi.
NK: Il y a un débat sur la question de savoir si la vallée de l’étrange est un concept scientifique ou non. Quelle est votre opinion à ce sujet?
MM: J’ai lu qu’il existe des preuves scientifiques que la vallée de l’étrange existe bel et bien; par exemple, en mesurant les ondes cérébrales, les scientifiques ont trouvé des preuves. J’apprécie le fait que des recherches soient menées dans ce domaine, mais de mon point de vue, je pense que les ondes cérébrales agissent de cette façon parce que nous nous sentons bizarres. Cela n’explique toujours pas pourquoi nous nous sentons bizarre au début. La vallée de l’étrange concerne diverses disciplines, y compris la philosophie, la psychologie et le design, et c’est pourquoi je pense qu’elle a suscité tant d’intérêt.
NK: Combien de réponses avez-vous reçues lorsque vous avez écrit votre essai pour la première fois?
MM: On pourrait dire qu’il n’y a pas eu de réponse du tout.
Les robots classés par leur côté effrayant/étrange
Maya Mathur, bio-statisticienne à l’Université de Stanford en Californie, a organisé une étude. Avec son équipe ils ont sélectionné 80 exemples et demandé à un public d’évaluer les visages sur une échelle de 1 à 100 pour leur apparence humaine.
Deux tâches ont été définies:
- à quel point ils seraient mécaniques ou humains
- en quel robot les gens auraient-ils confiance pour lui confier un billet de $100 et faire un investissement
Le participants au test ont également dû réfléchir à une question cruciale: dans quelle mesure serait-il agréable d’interagir avec le visage, au niveau quotidien? Voici les visages.
Le résultat de l’exercice de confiance suivait en quelque sorte la théorie de la vallée de l’étrange. Plus les gens se sentaient à l’aise avec le visage, plus ils étaient susceptibles faire confiance au robot et lui confier l’argent.
De plus, le sexe «perçu» est entré en considération.
«Il y a une grande différence entre demander aux gens à quel point ils aiment un robot et à quel point ils sont prêts à lui confier de l’argent», dit Mathur. «Je pense qu’en fin de compte, ces données suggèrent que la vallée de l’étrange est un problème réel et tangible.»
Les modèles leader de robots
Anthropomorphisme
Le dictionnaire Cambridge définit l’anthropomorphisme comme
“Le fait de montrer ou de traiter des animaux, des dieux et des objets comme s’ils étaient humains en apparence, caractère ou comportement.”
Pourquoi est-ce si important en robotique? Pourquoi débattons-nous de la «vallée de l’étrange»?
Parce que nous devons considérer l’objectif ultime: les relations homme-machine. Et il se trouve que nous, les humains, construisons des relations basées sur la confiance.
Ainsi des concepts tels que la confiance, le respect sont projetés sur la machine. C’est pourquoi la vraisemblance de la forme humaine est cruciale. Non seulement physique mais aussi cognitive.
- La robotique douce et l’anthropomorphisme sont la réponse à l’aspect physique.
- AGI, Intelligence Générale Artificielle (c’est-à-dire intelligence artificielle + conscience) au niveau cognitif.
“l’hôtel le plus efficace au monde en réduisant le personnel humain et composer son staff de 90% de robots”.
Et puis, en 2019, le soufflé tombe. C’était même devenu un échec en temps réel. Des 250 robots, la presque totalité a été virée.
L’équation “hôtel géré par robots + service client + IA” n’avait pas trouvé de solution. Pourquoi?
C’est ainsi que Sam Haddad a décrit l’hôtel dans un de ses articles dans Le conteur.
Jusqu’à l’année dernière, si vous vous étiez enregistré au Henn na Hotel au Japon, vous auriez eu à votre disposition une équipe de 243 robots. Du vélociraptor hochant la tête et de l’humanoïde «s’occupant» de la réception, au droïde de poubelle de recyclage qui parcourait les couloirs et au concierge bavard d’intelligence artificielle (IA) dans la chambre, le premier hôtel robotisé au monde avait même des poissons mécanisés nageant autour d’un réservoir lobby.
Des problèmes majeurs se sont produits:
- L’assistant vocal dans la chambre confondrait le ronflement avec une commande et émettrait une réponse qui réveillerait les invités.
- Les robots se trompaient avec les différents formats de passeports, de carte d’identité et les photocopies. Le personnel humain devait constamment intervenir.
- Les clients étaient agacés par Churi, l’assistant vocal. Contrairement à Siri ou Alexa, celui-ci a eu beaucoup de mal avec les horaires de vols ou les heures d’ouverture des parcs à thème.
- Les humains étaient nécessaires pour s’occuper de toutes les plaintes. Et les humains étaient nécessaires pour la maintenance des robots.
“Comme toute autre technologie, ils avaient besoin d’un entretien régulier et de mises à jour logicielles constantes, et ces choses ne sont pas bon marché.”
De l’autre côté du Pacifique, Connie, l’assistante robotique de Hilton avait bien mieux réussi.
Ses fonctions se limitaient à quelques tâches bien spécifiques comme répondre à des questions précises sur les heures d’ouverture ou les adresses. Des requêtes simples de base de données.
L'utilisation des robots dans le secteur de la santé
Au Japan, d’abord et massivement, puis ici en Europe, notamment en Belgique, les robots humanoïdes Pepper, VIK-e ou Zora viennent renforcer le staff du personnel soignant dans les EhPAD.
“La Belgique est le pays qui compte le plus de robots humanoïdes au service de la personne et de la santé au monde, après le Japon“, Fabrice Goffin, l’un des CEO de la société ostendaise robotique Zora Bots.
Zora est pourvu d’un corps développé en France par le leader mondial de la robotique humanoïde, le japonais SoftBank Group. Mais son “cerveau” a été conçu par Zora Bots, dont les logiciels donnent vie à la majorité des robots humanoïdes de la planète. L’ensemble de cette technologie revient à 15.000 euros par unité, à payer en une fois ou sous forme de leasing.
Objectif: divertir, motiver, interagir avec les seniors.
Robo-éthique
Il y a une vague montante d’éthiciens de la technologie qui consacrent leur travail pour s’assurer que l’IA et la technologie sont développées de manière responsable.
Kathleen Richardson, professeur d’éthique et culture de la robotique et de l’IA à l’Université De Montfort évoque une sorte de fantasme derrière la création qui s’intègre dans la pratique de l’ingénierie, de la robotique et de l’IA.
«Je ne pense pas que ces personnes vont au bureau ou dans leurs laboratoires et pensent que je fais un travail qui va être intéressant pour l’humanité. Je pense que beaucoup d’entre eux ont un complexe de Dieu, et ils voient en fait comme des créateurs.”
Et puis ...
La vallée de l’étrange peut aussi être une vallée amusante. C’est ce qui s’est passé en Belgique, à Gand, à l’hôtel Marriott avec Mario, le robot domestique.
Mario est devenu une véritable star locale et a est même utilisé par a ville comme aimant touristique.
Grâce à ce succès, Gand a donné une merveilleuse leçon sur la robotique et montré comment gérer la question complexe des robots intégrant la société.
Leur solution était pragmatique et l’utilisation de Mario clairement définie. Plus, ils y ont mis une bonne dose d’humour belge.
Mario, la star locale
Avez-vous ressenti la vallée de l’étrange avec certaines photo de cet article?