Éloge de l’Empathie : Éthique Pratique ou Pratique Éthique en Entreprise ?
Éloge de l’Empathie : Éthique Pratique ou Pratique Éthique en Entreprise ?
Dans sa vie professionnelle, qui ne s’est jamais retrouvé témoin ou partie d’une situation de communication compliquée, conflictuelle, voire même agressive ?
Qui n’a jamais eu à travailler avec une personne avec laquelle il avait du mal à communiquer, à se comprendre, ou bien même ne s’entendait pas du tout ?
Du coût d’une mauvaise communication en entreprise
Les différences d’intérêt, de vision, d’opinions, culturelles, éducatives ; sont autant de facteurs qui peuvent compliquer la communication entre les individus.
« Même sans en arriver à des conflits ouverts, des modes de fonctionnement ou de communication différents entre collaborateurs peuvent conduire à des mécompréhensions, faire traîner en longueur certaines discussions, voire les faire dégénérer. »
Vocoli, un éditeur américain de plateformes collaboratives, a réalisé en 2015 une étude sur le coût d’une mauvaise communication interne en entreprise. La perte d’argent d’une entreprise liée à des problèmes de communication serait estimée selon eux à 26 041 euros par personne et par an. Encore, les pertes liées à la baisse d’engagement des salariés seraient estimées à 500 milliards de dollars par an aux Etats-Unis.
La dénomination « mauvaise communication interne en entreprise » peut certes revêtir des réalités différentes.
« Cependant la communication interpersonnelle constitue une part importante de la communication dans le monde professionnel. Et les baisses d’engagement des salariés ont régulièrement à voir avec des situations de relations humaines. »
Parmi les composantes d’un burn‐out figurent, par exemple, les sentiments d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation, selon l’Institut de Santé et Sécurité au Travail. En ce sens, établir une communication interpersonnelle structurelle efficace pourrait apparaître comme une priorité au sein de toute entreprise.
La Communication Non Violente (CNV) : une méthodologie humaniste, abordable et efficiente
La CNV, ou Communication Non Violente, est un processus de communication théorisé par le psychologue Américain Marshall Rosenberg (1934-2015), qui se base essentiellement sur la bienveillance et l’empathie, vertus humaines par excellente s’il en est. Son origine n’est donc autre que la prise en compte de la notion d’humanité.
Humanité : « Disposition à la compréhension, à la compassion envers ses semblables, qui porte à aider ceux qui en ont besoin. » Larousse
La méthode CNV, modèle de communication humaniste, développée par Rosenberg se montre d’autant plus pertinente qu’elle est méthodique. Elle se base sur quatre étapes principales :
1. L’observation : d’un comportement qui affecte notre bien-être, de manière factuelle, sans jugement de valeur.
2. Le(s) sentiment(s) : qui naissent chez nous suite audit comportement.
3. Le(s) besoin(s) : recherche de la cause profonde, du/des besoin(s) ayant généré ce(s) sentiment(s) en nous.
4. La demande : formulation à notre interlocuteur d’actions concrètes qui pourraient contribuer à notre bien-être.
La Communication Non Violente apparaît non seulement comme une véritable méthode de communication structurée et facilement appréhendable ; mais aussi singulièrement déconcertante par la simplicité de son approche, en ce qu’elle propose de remettre au centre de la communication des caractéristiques fondamentales de notre condition d’être humain.
En premier lieu nos sentiments, ces objets que l’on nous demande bien souvent de lisser ou de mettre de côté dans nos vies professionnelles. Ensuite nos besoins, qui sont selon Rosenberg le pendant immergé de tout sentiment. Le succès de la démarche reposant sur le fait de faire appel à une autre caractéristique humaine qui ne fait que trop peu partie de la liste valorisée en entreprise : l’empathie.
« Derrière les messages intimidants, il y a seulement des individus qui nous prient de satisfaire leurs besoins. » Marshall Rosenberg
Et si toute communication difficile en entreprise pouvait être avortée par la bienveillance et l’empathie ?
Le psychologue met en avant les bénéfices de ces qualités humaines, qui permettraient de repérer les sentiments et besoins implicites exprimés dans toute communication, et de « recevoir ses paroles comme un don de l’un de ses semblables, qui cherche à partager ». Il définit aussi l’empathie comme la capacité de « comprendre avec respect ce que les autres vivent ».
Du rôle de l’éthique en entreprise
Le bien vivre ensemble, ne serait-‐ce pas l’une des caractéristiques fondamentales de la notion d’éthique ?
Le Larousse donne deux définitions principales du mot « éthique » :
« 1. Partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale.
2. Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un. »
Le philosophe français Roger-Pol Droit, dans son ouvrage L’éthique expliquée à tout le monde, offre un éclairage intéressant sur la distinction entre morale et éthique ainsi que sur la nécessité de replacer l’éthique au cœur des débats actuels :
« « Morale » désignera principalement les valeurs existantes et transmises, « éthique » le travail d’élaboration ou d’ajustement rendu nécessaire par les mutations en cours. (…) Dans une société en voie de globalisation, il s’agit d’inventer la cohabitation de plusieurs systèmes de valeurs qui autrefois s’ignoraient et n’avaient que peu d’occasions de se rencontrer quotidiennement. » Roger-Pol Droit
Cette vision fait écho à la théorie de l’éthique de la vertu d’Aristote, en ce qu’il distinguait la vertu intellectuelle, acquise, que l’on peut apprendre, et qui grandit avec l’expérience ; de la vertu morale, innée, qui selon lui est ancrée en chacun de nous et qui fait référence aux vertus de la sagesse, la gentillesse, du courage,…
Son approche de la vertu, et a fortiori de l’éthique, place elle aussi l’homme au centre de toute réflexion, et prône le bonheur humain comme finalité ultime.
Roger-Pol Droit propose également une approche de l’éthique très humaniste quand il écrit :
« Parmi les problèmes de la réflexion sur l’éthique, il faut se demander s’il existe des impulsions ou des sentiments totalement
universels et si on peut en tirer des règles valables véritablement partout et pour tous. (…) On constate une grande diversité des règles éthiques. Beaucoup de ces règles varient selon les époques, les civilisations, les groupes sociaux, les croyances.
(…) Si on cherche un premier dénominateur commun, à la fois simple et exact, il me semble possible de le trouver. Voici celui que je propose : l’éthique, c’est d’abord le soucis des autres. Car l’existence des autres, les multiples relations entre eux et moi, constituent le point de départ le plus universel de toutes les formes d’éthique. » .
Ce postulat est très similaire à celui de la CNV, qui prône une approche se basant sur l’universalité de notre condition d’êtres humains, d’être animés de sentiments et de besoins ; et de devoir nous reconnecter à eux afin de mener des relations et des communications apaisées en toutes circonstances. La clé de voûte permettant de nous reconnecter à notre essence commune étant l’empathie.
Du lien entre éthique et empathie
La racine grecque du mot « éthique », « èthos », fait notamment référence aux mœurs, à la manière de se comporter en société. Et si la bonne manière de se comporter en société, et a fortiori en entreprise, devait être avant toute autre chose, empathique ?
Et si cette empathie permettait à tout le monde de mieux vivre et travailler ensemble de manière plus efficace ?
L’empathie, cette qualité si peu valorisée dans les archétypes d’une entreprise, serait-elle finalement bien plus bankable que les recruteurs et managers ne sembleraient généralement le penser ?
Dans l’article “Empathy Is The Most Important Leadership Skill According To Research” paru dans Forbes, la journaliste Tracy Brower affirme que
« Nous avons toujours su que faire preuve d’empathie était positif pour les gens, mais de récentes recherches démontrent son importance pour tout, depuis l’innovation jusqu’à la rétention des salariés dans l’entreprise. »
Les chiffres amenés dans cet article sont impressionnants.
Issus d’une étude menée par l’entreprise Catalyst sur quelques 889 employés, les résultats en termes d’engagement des salariés vont du simple au double: 76% des personnes annonçant travailler avec des managers empathiques se disent engagés dans leur travail, contre seulement 32% des personnes disant avoir des managers moins empathiques.
Les chiffres quant à l’innovation au travail sont encore plus spectaculaires : 61% des personnes travaillant avec des managers empathiques disent faire preuve d’innovation, contre seulement 13% des personnes annonçant avoir des managers moins empathiques.
Marshall Rosenberg explique que la démarche de CNV, en se concentrant sur les sentiments et besoins de son interlocuteur grâce à l’empathie, permet de ne pas se sentir « déshumanisé » soi-même ou attaqué personnellement par un message difficile ; en faisant disparaître tout notre système de jugements, critiques et similaires, pour se concentrer sur l’autre.
L’empathie permettrait donc, non pas, comme on pourrait le penser spontanément, de prendre les choses personnellement ; mais au contraire de prendre du recul sur une situation, en suivant les concepts de la CNV.
La philosophe et psychologue américaine Carol Gilligan a théorisé l’éthique du « care » ou de la « sollicitude » dans les années 1980. Cette théorie d’éthique relationnelle repose essentiellement sur l’attention et les soins portés à autrui, à leurs besoins, et à nos relations avec eux. Aspects qui se fondent donc nécessairement sur l’empathie, cette « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent », selon le Larousse.
Marshall Rosenberg considère que pour faire preuve d’empathie, il est nécessaire de « faire le vide dans notre esprit et écouter de tout notre être ».
Selon lui, toute approche intellectuelle ou démarche de réflexion, implique une part de catégorisation, de jugement, en fonction de notre propre système de valeurs et de croyances. Ce qui bloquerait ou limiterait toute démarche véritablement empathique d’écouter l’autre, et de lui laisser tout l’espace dont il a besoin. Selon le philosophe chinois Tchouang-Tseu du IVe siècle av. J.-C. « Ce qui ne peut jamais être entendu par l’oreille ou compris par l’esprit. » .
Ces réflexions peuvent soulever des interrogations concernant les avancées technologiques que nous connaissons aujourd’hui, parmi lesquelles l’intelligence artificielle. Une telle forme d’intelligence aura-t-elle la capacité d’être empathique ?
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Tiphaine BOURVIC has been working as a Supply Chain consultant specializing in the deployment of digital tools, industrial transfers and production control for European industry leaders (France and Germany). Her sectors of interest are the aeronautical, pharmaceutical and luxury industries. Holding a Master 1 in Law from Panthéon-Assas University and a Master 2 in Logistics, Marketing and Distribution from La Sorbonne, Tiphaine BOURVIC is passionate about the complexity of cross-functional topics and projects. She is engaged for ethics and debates to find a central place in our societies and businesses.