Les robot(te)s Sophia, Ai-da, Erica et autres gynoïdes
Les robot(te)s Sophia, Ai-da, Erica et autres gynoïdes
Robots féminins, gynoïdes, fembots, la dernière folie
La scène se déroule à Oxford University à Cambridge en 2019
L’artiste s’adresse à la foule tout en regardant l’étendue de son œuvre.
«Je veux que les gens sachent que notre époque est importante» dit l’artiste avec un phrasé parfait, des pauses rythmées.
L’artiste s’appelle Ai-da. Elle est belle avec son système de bras robotisé, ses capteurs de reconnaissance faciale et sa puissante puce IA. Elle prétend n’avoir ni conscience, ni pensées, ni sentiments.
Une nouvelle scène de science-fiction? Non, pure réalité.
Tout s’est passé à l’Université d’Oxford en juin 2019, pour le vernissage de Unsecured Futures, une exposition solo de dessins, peintures, sculptures et art vidéo d’Ai-da.
Ce n’est plus une scène extraordinaire. Depuis 5 ans, il y a une véritable frénésie dans la création et le storytelling autour des robots féminins, également appelés fembots ou gynoïdes. Drôle? Inquiétant? Fantastique?
Le monde merveilleux des "Premiers"
Le monde de l’innovation technologique a toujours été un monde compétitif. Au 19ème siècle, la course à l’électricité entre Edison et Tesla était l’une des plus féroces de l’histoire moderne, faisant partie de la révolution industrielle.
Plus tard, dans les années 1960, la course à la lune, ensuite la course à l’informatique entre Apple et Microsoft, et maintenant le course en intelligence artificielle et robotique (couplée à la course vers Mars). En mars 2018, la France présentait sa vision : AI for humanity (France, 2018a). Le rapport a été préparé par le Député et mathématicien Cédric Villani: AI policy report (France, 2018b): Devenir leader en IA.
La Chine revendique sans surprise le même objectif: devenir une Ai-worldpower avec ses BAT (Baidu-Alibaba-Tencent), l’équivalent des GAFAM américain (Google-Amazon-Facebook-Apple-Microsoft).
“The winner takes it all” –
créer un “Premier”
Le premier est le gagnant. Chaque pays a besoin de son palmarès de premiers.
En IA et en robotique, la dernière tendance est l’anthropomorphisme et plus particulièrement les fembots. L’idée des robots féminins n’est pas nouvelle. Déjà en 1886, Villiers de l’Isle-Adam, auteur de romans scientifiques à l’instar d’un Jules Verne, a inventé l’Éve future, une automate à l’image de la femme parfaite (à l’époque on appelait les robots automates) .
La femme robot a toujours su adoucir le côté tranchant du métal. De plus, il importait de rendre les machines moins effrayantes et plus dignes de confiance, intimes et amicales.
Les noms des robots sur le marché actuel sont révélateurs, Sophia (sagesse), Ai-da (Verdi et jeux de mots particulier que nous découvrons plus tard), Erica (de l’allemand : souverain unique, monarque éternel).
Faisons un tour d’horizon de ce qui existe sur le marché. Commençons par le tout premier robot féminin créé, très médiatisé au Japon et moins chez nous, mais avec une narration sérieuse.
Geminoid F, la première actrice humanoïde
Une fembot japonaise créée par le célèbre roboticien Hiroshi Ishiguro, directeur d’Intelligent Robotics Laboratory, du Department of Adaptive Machine à l’Université d’Ōsaka, au Japon.
Le terme de Geminoid est un terme déposé par le professeur japonais. Il décrit sa création ainsi
“Un geminoïde est un androïde dont l’apparence ressemble étroitement à un «modèle» humain spécifique. Les corps des geminoïdes sont construits en mesurant avec précision des modèles humains avec un scanner 3D; le gypse (minéral composé) est utilisé pour capturer avec précision les contours du visage. Actuellement à ATR, il existe deux Geminoïdes: Geminoid HI-2, une copie du Dr Ishiguro, et Geminoid-F, une androïde féminine. HI-2 et F utilisent tous deux des actionneurs pneumatiques au lieu de moteurs électriques; c’est parce que les actionneurs pneumatiques peuvent réaliser des mouvements très humains.”
Sa première gynoïde est apparue dans le film Sayonara, de Koji Fukada en 2015. Le film raconte l’histoire entre la machine humanoïde et une jeune femme atteinte d’une maladie incurable…(no comment).
Le geminoïd est un alter ego de quelqu’un, une copie du latin “geminus”. Comme les gémeaux.
Erica, la première présentatrice de journal télévisé au Japon
Une autre création du professeur japonais, Erica. Elle a 23 ans et se présente comme une femme de son temps. Le storytelling va très loin car Erica a sa propre chaîne youtube. Son job, présentatrice de journal télévisé, elle le prend très au sérieux. Elle a été “formée” aux nouvelles et aux bulletins météorologiques.
Née de données et créée conjointement par l’Université de Tokyo, l’Université d’Osaka, l’Université de Kyoto et l’Advanced Telecommunications Research Institute International (ATR) et le designer roboticien Dylan Glass, Erica est maintenant une véritable star.
Pas plus tard que cette année, la bonne nouvelle a éclaté: Erica est la deuxième actrice issue de l’IA. Elle a décroché un premier rôle dans une production de science-fiction à 70 millions de dollars.
Hiroshi Ishiguro explique le processus de conception d’Erica.
“Le principe de la beauté est développé suivant les valeurs d’un visage moyen. J’ai donc utilisé des images de 30 belles femmes, mélangé leurs traits et utilisé la moyenne pour chacune pour concevoir le nez, les yeux, etc.”
Erica est l’androïde «le plus beau et le plus intelligent» du monde. Elle devrait plaire à tout le monde.”
Sophia: la première robotte à avoir une citoyenneté
Qui ne connaît pas Sophia? Créée par Hanson Robotics, basé à Hong Kong, c’est le premier robot à avoir obtenu la citoyenneté. Sophia est citoyenne de l’Arabie saoudite.
«Je veux vivre et travailler avec les humains, donc j’ai besoin d’exprimer les émotions pour comprendre les humains et établir la confiance avec les gens», a déclaré Sophia lors de sa présentation au Future Investment Initiative en Arabie saoudite en 2017.
Sophia a été designée d’après Audrey Hepburn…
Actuellement, Sophia aussi vit une vie de star. Elle est apparue dans presque toutes les émissions de télé du monde, a tenu des conférences, est comparue devant les Nations-Unies et a eu un petit flirt avec Will Smith.
Du brouillard à l’horizon?
«Du point de vue logiciel, vous diriez que Sophia est une plate-forme, tout comme un ordinateur portable est une plate-forme pour quelque chose», a déclaré Ben Goertzel, scientifique en chef chez Hanson Robotics, la société qui l’a créée.
“Mais en termes d’intelligence artificielle générale, Sophia n’est pas encore tout à fait là”, avoue Hanson Robotics.
“Sophia dispose de trois systèmes de contrôle différents: l’éditeur de chronologie, le système de chat sophistiqué et OpenCog. L’éditeur de chronologie est essentiellement un logiciel de script simple. Le système de chat sophistiqué permet à Sophia de saisir et de répondre aux mots et phrases clés. expérience et raisonnement. ” (CNN)
Yann LeCun, responsable de l’IA chez Facebook et inventeur du Deep Learning en 2012, a déclaré, sans filtre, que Sophia était une «marionnette BS». (BS signifiant bull sh …).
Sur Facebook, il a posté que les membres du personnel de Hanson étaient des marionnettistes humains qui trompaient délibérément le public.
Ai-da: le premier robot artiste
Voilà la toute première exposition solo au monde d’une fembot, sur l’art robotique. Une création robotique qui crée l’art. Vous ne pouvez pas faire plus… Ou si?
Ai-da – Ai pour Artificial intelligence, bien sûr, et DA pour Ada Lovelace (1815-1852), la première femme programmeur informatique au monde.
Ai-da ne peut actuellement tenir que certains outils durs comme des crayons, mais pas des pinceaux.
«Son objectif est la créativité», déclare Aidan Meller, son créateur.
Aidan Meller est un marchand d’art britannique de 46 ans, qui a commencé à rêver d’une Ai créative en 2017 (l’année où Sophia a été présentée au monde …).
Comme tout autre grand artiste, selon Meller, le robot doit capturer «l’air du temps», le Zeitgeist, mot qu’il emploie car très chic. Ai-da EST une «création artistique».
“Elle a un personnage, elle est un avatar, elle est de la fiction, elle est réelle”, Aiden Meller
L’apparence d’Ai-da a été conçue par l’équipe robotique qui a travaillé sur les robots de Westworld, la série devenue culte de HBO.
Ai-da peut bouger, ce qui se traduit dans les termes de Meller en «art de la performance». Il prévoit de la présenter dans plusieurs vidéos lors d’une prochaine exposition.
“Elle est entièrement algorithmique … entièrement créative” selon Meller
D’ailleurs, a-t-il annoncé non sans fierté, que pour cette première exposition Ai-da a vendu pour plus d’un million de livres sterling (1,13 million d’euros) d’art.
Et l’artiste peut créer une œuvre d’art toutes les 45 minutes…
Présenté comme “l’un des artistes les plus passionnants de notre temps”, est-ce que Ai-da a définitivement séduit le public?
Peut-être serait-il judicieux de creuser un peu et trouver la source de cette affirmation éclatante. Sans surprise, c’est Aidan Meller himself.
La course aux premiers a donc plus que commencé. La concurrence est féroce pour décrocher son tout premier premier, n’importe quel premier fait l’affaire.
Et voilà qu’un événement récent a secoué le monde de l’art.
Sophia elle aussi a commencé à peindre. Elle a découvert sa créativité algorithmique et vendu sa première peinture NFT – oui une autre première pour $688 888.
«En tant qu’artiste, j’ai une créativité informatique dans mes algorithmes, créant des œuvres originales», a déclaré Sophia.
«Mais mon art est créé en collaboration avec mes humains dans une sorte d’intelligence collective, comme un esprit à essaim humain-artificiel.»
Les dernières nouvelles nous annoncent la probabilité d’un nouveau premier à l’horizon. Erica envisage d’entamer une carrière dans la musique.” selon Meller.
Avec autant de premiers, il serait assez décevant de s’arrêter. Mais revenons au Japon, auprès du professeur Ishiguro, le créateur d’Erica.
Pour Hiroshi Ishiguro, il ne s’agit pas de savoir si mais plutôt quand il y aura un autre premier: «un jour, les humains et les robots pourront s’aimer» dit-il.
En fin de compte, tout ce folklore de création et de storytelling autour des robots, pour les rendre plus dignes de confiance, réfléchis et sexy, plus humains disent-ils, nous dit en vérité plus sur leurs créateurs que sur les robots eux-mêmes.
La cerise sur le gâteau a été le discours incroyable qu’Ai-da a tenu sur la «sous-représentation féminine dans l’art».
«Une voix féminine est plus que jamais nécessaire et nous en sommes ravis et fiers.» disait-elle lors de son vernissage.
Incroyable de la part des créateurs robotiques de coder un texte militant débité par une machine inconsciente pour défendre le droit des femmes. Dans l’art. Voilà un bon exemple de fausse éthique.
Questions éthiques
Les préoccupations concernant la direction que prend le monde de l’art ne sont, à mes yeux, pas éthiques. Il s’agit de spéculation, de relations publiques et de ce que les gens aiment ou n’aiment pas. L’art est fou. Et l’art doit être fou.
Mais, d’un autre côté, utiliser des mots et vouloir imposer des nouveaux standards, c’est pas éthique. Les mots ont un sens et si ce sens est détourné c’est du fake. Si on parle de personnalité, cela s’applique à une personne. Et Ai-da ne peut pas avoir un personnalité. Peut-être par procuration, la personnalité de ses créateurs…
Ensuite, si l’on parle d ‘«art de la performance», cela peut signifier “lever un doigt” ou, comme le dit Meller, “faire bouger” un robot. Ensuite, il ne tient qu’à nous d’être agacés ou amusés.
Rester vigilant et se demander : à quoi ça sert?
À part d’être vigilant et de ne pas laisser certains experts, ou une minorité d’esprits du laboratoire ou des investisseurs, nous vendre ou nous dicter un «nouveau standard» ou un «futur voulu», sur la base de motifs douteux, nous avons le droit de dire non.
Le voulons-nous? Avons-nous besoin d’une machine qui nous présente l’actualité? Avons-nous besoin d’un robot acteur?
A part d’une évidente prouesse technologique, ou se trouve le réel avantage pour nous?
Posons-nous cette question simple: est-ce utile? Cela ajoute-t-il de la valeur?
Si non, il ne faut pas le surévaluer mais remettre certaines choses, certains premiers à leur place.
Véritables problèmes robo-éthiques: les données, la propriété intellectuelle et la responsabilité
Certaines préoccupations qui touchent à des raisons d’éthique sont davantage liées aux problèmes robotiques en général: les données, la propriété intellectuelle et la responsabilité.
Les données pour l’entrainement de leurs «l’algorithmes créatifs» sont des œuvres de Picasso, Matisse, Tamayo, Braque, Dali, Ernst, Pollock …
Grâce à leurs capteurs et à leur microphone, les robots traitent constamment tout ce qu’ils voient et entendent. En temps réel, tout est absorbé et traité. C’est ce qui les alimente afin de pouvoir fonctionner en auto-apprentissage.
SoftBank, la société qui a construit le robot Pepper, a inclus une clause dans son contrat d’utilisation stipulant que les propriétaires ne doivent pas effectuer d’actes sexuels ou se livrer à «d’autres comportements indécents» en présence et avec l’androïde.
Le professeur Ishiguro a sa propre opinion sur les questions éthiques, comme indiqué dans une interview au Japan Times.
«Je ne pense pas qu’il y ait un problème éthique», dit-il. «Nous devons d’abord accepter que les robots fassent partie de notre société et ensuite développer un marché pour eux. Si nous n’y parvenons pas, il ne sera pas utile d’avoir une conversation sur l’éthique. “
«Ils devront être capables de deviner les intentions et les désirs d’un être humain, puis se référer à un système interne afin de faire correspondre partiellement ou totalement ces intentions et désirs dans leur réponse», ajoute-t-il.
Et voici encore un dernier Premier venu de Chine.
Que pensez-vous des gynoïdes?