L'entreprise peut-elle être éthique?
La lettre aux actionnaires du CEO d’Amazon Jeff Bezos envoyée il y a quelques jours m’a fait un étrange écho aux idées avancées par l’Anthropologue Yuval Noah Harari (Auteur de Sapiens) concernant la définition réelle d’une entreprise.
D’une entité juridique possédée par des actionnaires arbitrant le partage de la valeur ajoutée, la définition d’entreprise est devenue infiniment plus complexe.
L’entreprise est une construction sociale, produit d’un besoin dans une société et dotée d’objectifs divergents selon les points de vue.
Quels sont les objectifs d’une entreprise ?
En effet, l’entreprise est jugée à chaque instant vis-à-vis d’objectifs que nous lui fixons.
- Ceux des actionnaires sont de garantir profit, dividendes, stabilité et croissance à court ou long terme.
- Ceux des salariés touchent à la reconnaissance de leur travail par la hiérarchie : salaire, évolution, conditions de travail, justice.
- Ceux des clients sont liés au contrat généralement implicite et subjectif sur la qualité et le prix du produit ou service vendu.
- Ceux issus de la société (ONG, Pouvoirs Publics, Citoyens…) englobent les obligations légales, les engagements sociétaux (RSE).
L’exercice de jugement est alors complexe :
Si la société qui m’embauche me traite bien, s’engage sur une politique RSE forte mais ne réalise pas de profit, est-ce une mauvaise entreprise ?
Au contraire, une entreprise comme Amazon qui jusqu’en 2019 détruisait les produits neufs en surstock plutôt que de les valoriser socialement en dons mais qui réalisait la même année un résultat net positif peut-elle être jugée comme une bonne entreprise ?
Nous endossons chaque jour plusieurs de ces rôles, je suis à la fois salarié, client et citoyen, voire même actionnaire au sens où mon épargne est partiellement constituée d’actions. L’un prenant le pas sur les autres en fonction du contexte : je ne juge pas l’entreprise où je travaille comme un client et je ne juge pas le produit vendu selon la profitabilité de l’entreprise.
L’entreprise comme conséquence des tendances sociétales
Les actions de l’entreprise découlent des objectifs que ses parties prenantes lui fixent.
Le commercial s’intéressera aux jugements des clients & des citoyens (clients potentiels) sur ses produits & services. L’actionnaire aura à cœur de s’assurer que les tableaux financiers soient les plus attirants possibles pour l’assemblée générale annuelle, quitte à couper certains investissements durables.
L’entreprise est alors la conséquence des mouvements d’idées dans la société.
Pour exemple, les multiples réglementations sur les produits phytosanitaires ont contraint des entreprises comme Monsanto à restreindre la vente du Glyphosate. Monsanto continue donc de travailler à l’atteinte de ses objectifs commerciaux & financiers mais dans un cadre plus contraint.
Que doit-on attendre d’une entreprise ?
Si l’entreprise est le miroir de la société, et opère dans un environnement qui la contraint, quelle utilité aux engagements RSE qui se multiplient ces dernières années ?
J’ai alors un vieux souvenir de mes cours d’économie : le cas Henry Ford.
L’entreprise peut aussi être à l’initiative sur certains sujets, tout en inscrivant ses actions dans le cadre des objectifs qui lui sont fixés. Henry Ford qui augmente le salaire des ouvriers de ses usines raisonne toujours en tant qu’actionnaire. Il sait que cette augmentation des salaires provoquera une augmentation de la consommation et in fine de ses ventes.
Les résultats apparemment exogènes à l’entreprise (augmentation du pouvoir d’achat) sont au final provoqués par les actions de cette dernière (augmentation des salaires).
C’est ainsi que nous pouvons juger l’éthique d’une entreprise.
Leur éthique ne doit pas être une question de légalité, d’image, mais bien une réelle volonté d’initier par elles-mêmes les changements en avance de la société.
Créer le mouvement
Nous sommes chacun une part des entreprises, en tant que client, citoyen, salarié ou actionnaire. Juger de loin une entreprise c’est oublier que nous faisons partie directement de son environnement et que nous sommes collectivement ceux qui lui fixent les objectifs.
A chaque jugement, nous devons prendre en compte l’éthique par les deux bouts : cause & conséquence.
Exemple du nutriscore (indicateur visuel simplifié de la qualité nutritionnelle du produit) :
- Les clients sont-ils capables de comprendre facilement les indications nutritionnelles au dos des produits ?
- L’entreprise essaie-t-elle de rendre simples les indications nutritionnelles des produits vendus ?
Il suffit de la défaillance d’un maillon de cette chaîne pour ne pas réussir, et nous devons comprendre où se trouve cette défaillance pour juger réellement l’éthique de l’entreprise.
Dans ce cas, la défaillance est venue des entreprises (difficulté d’adoption par peur de vendre moins les produits mal notés) et la réponse viendra de la société (initiatives ONG pour rendre obligatoire ce nutriscore en Europe, loi sur les communications publicitaires en France…). Il est pour moi opportun de juger ces cas qui me semblent déroger à l’éthique de l’entreprise en rendant l’information au consommateur moins claire.
L’entreprise comme organisation sociale est un élément éthique qui peut être jugé, en prenant en compte l’environnement dans lequel elle s’inscrit et dont elle dépend. L’éthique de l’entreprise est une matière perméable reliée en continu aux concepts politiques, aux éléments de justice sociale et aux impératifs écologiques.
Nous devons la juger comme cause ou conséquence d’un processus qui intègre l’ensemble des parties prenantes.
- Supply Chain & Logistics Executive
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“To live without a goal is like cruising without a compass”
Passionate about human organizations, I am interested in anthropology, psychology, sociology, economics & history. During the week I get up every morning to support the transformation of the warehouses and the Supply Chain. In our studies or in our work, ethics must take its place to accompany our faculty to judge our ideas and our actions. Ethics must be the compass that guides our decisions.